EST CE QUE TOUT COMMENCE,

 BERTHE MORISOT

Tous les jours sur le coup de 11h15 il vient dans le petit estaminet du port et prend toujours la même table, il commande son verre d'absinthe puis pendant de longues minutes il observe l extérieur par la fenêtre devant lui.

Ce ne sont pas les bateaux amarrés,  tous plus jolis les uns que les autres,  qui l'intéressent ni même la luxurieuse et abondante culture de fleurs que la charmante propriétaire des lieux entretient avec amour mais.....

A 11h30  une très jolie petite fille vient rejoindre en courant une jeune femme très belle, tous les  jours différemment apprêtée mais toujours avec une grande élégance.

Cette jeune femme lui plait beaucoup mais il n ' arrive pas à savoir s'il s'agit de  la maman  ou de la babysitter de cette enfant, il ne veut pas causer d'ennuies a qui que ce soit aussi l'observe t il discrètement derrière cette fenêtre, et caché par les plantes fleuries qui ornent le rebord de fenêtre.

Peut être qu'à un moment donné, un geste, un mot lui permettra d'en savoir un peu plus et à ce moment il saura également s'il peut aller au devant de cette belle jeune femme et se présenter pour un l' accompagner un brin de chemin.

Depuis la première fois où il l'a vit, il n'arrive pas à oublier son sourire, ses traits, sa silhouette et le tout le hante. 

Alors avec pudeur, discrétion et sans risquer de mettre qui que ce soit dans l'embarras, il essaie de savoir.

Dès que ces deux jeunes femmes se sont retrouvées, il paie son verre qu'il n'a parfois qu'effleuré et sort essayant de voir si quelqu'un d'autre les attend, mais généralement il ne voit rien même pas une silhouette au loin, elles disparaissent aussi vite qu'elles sont apparues mais il est heureux il l'a aperçu.

Mathilde, la tenancière de l'estaminet, est une gentille mamie qui a l'habitude de sa clientèle et bien entendu depuis quelques semaines elle a remarqué Edouard, ce nouveau client , et elle n'a pas mis longtemps à comprendre ce que venait observer ce charmant monsieur.

Lorsqu'elle dépose l'absinthe quotidienne sur la table d'Edouard, Mathilde , tout en jetant un regard dehors et en s'adressant à Edouard, dit 

-Les vacances scolaires de Toussaint arrivent, le temps et le paysage vont changer,

 Edouard la regarde avec un sourire approbateur  et Mathilde d'ajouter,

-Regardez Mademoiselle Léonie qui vient chercher sa petite soeur Louise à la sortie des classes, elle ne seront plus aussi détendues, elles seront préssées de rentrer au chaud chez elles au lieu de s'attarder devant ma fenêtre ou sur le port......

-Mademoiselle Léonie et Mademoiselle Louise? dit Edouard d'un seul coup fort intéressé par la discussion.

-Oui La jolie jeune femme qui est là devant, les pauvres, il y a quelques mois elles ont perdu leur papa et Mademoiselle Léonie a mis sa vie entre parenthèses pour s'occuper de Louise sa cadette qui n'avait aucune autre famille où aller, enfin elles ont bien du courage dit Mathilde en s'éloignant un sourire de satisfaction au coin des lèvres. 

Edouard connait enfin l'identité et l'histoire de cette si belle inconnue..................

Qu'advientra t' il  de cette histoire?

 BERTHE MORISOT

Edouard, est un quadragénaire qui, depuis quelques années, a monté une petite entreprise de réparation de bateaux de pêche, les pointus comme ils les appelent.

Petit à petit sa notorieté est devenue de plus en plus importante, la qualité de son travail est reconnue dans le département et dans la région toute entière.

Il fait travailler 2 salariés et un apprenti avec lesquels il entretient des liens plus que professionnels, il est présent dans le cadre de leur emploi mais les soutient également lorsque la vie leur fait un cadeau empoisonné et il sait qu'il peut compter sur ses employés-amis pour quelque déboire qu'il aurait.

Ce désir de réussir sa vie professionnelle a, du coup, prit le pas sur sa vie sentimentale, alors oui c'est un homme  "la bagatelle" il connait et en a usé mais modèrement proprement sans faire de promesses qu'il n'aurait voulu tenir  mais  aucune belle histoire de coeur n'était venue le perturber, aucune rencontre ne l'avait chaviré comme Léonie cette belle jeune femme qu'il a croisé un beau jour sur le port et qui hante ses nuits.

Léonie est la fille ainée d'un drapier qui a force de travail a réussi à faire fructifier la vieille entreprise familliale, son épouse tenait une boutique dans laquelle elle vendait les draps et tissus que son époux négociait avec les tisserands de la France entière. Malheureusement la maladie l'emporta une dizaine d'années après la naissance de leur seconde fille Louise cadette de 15ans de Léonie.

Le drapier fit de son mieux pour continuer le négoce des tissus et pour garder la boutique mais le chagrin le fit s affaiblir trés vite, il dut prendre une gouvernante qui s'occupait de Louise encore trop jeune pour se debrouiller seule et Léonie prit , petit à petit,  en mains la responsabilité de la boutique.

Elle se rendit trés vite compte que son papa s'affaiblissait chaque jour davantage et mit, pour un temps sa vie de jeune femme insouciante de côté. 

Lorsque son père se vit partir, il demanda à Léonie de prendre la charge des affaires comme il le lui avait expliqué ces 3 dernières années et lui demanda de bien s'occuper de Louise afin qu'elles aient toutes deux une avenir serein.

C'est ainsi que tous les matins et soirs la gouvernante amenait et retournait chercher Louise à l'école et que Léonie s'autoriser à fermer la boutique à 11h afin de  récupérer sa petite soeur à l'école .

C'était pour elles un plaisir que de longer le port, de voir tous ces pointus alignées les uns à côté des autres et de saluer leurs amies c'est ainsi que toutes les fin de matinées les deux soeurs se rejoignaient devant le petit estaminet de  Mathilde.

 

 

Edouard parcourt son atelier et ne peut s'empêcher de voir les vêtements usés et parfois plusieurs fois reprisés de ses employés, il est vif d'esprit et soudain il donne ses directives et part d'un pas assuré dans le centre de la bourgade.

Le voilà arrivé, il se tient devant la boutique du drapier, un instant il hésite et puis d'un pas décidé il fait le dernier mètre, abaisse d'une main ferme la poignée de la porte et pénètre dans l'échoppe où sont disposés avec soin une multitude de tissus tous plus beaux les uns que les autres.

Le cliquetis des breloques en verres suspendues au dessus de la porte ont alerté, Léonie qu'un visiteur était dans la boutique et du fond de la réserve elle lance .............

            * 2minutes s 'il vous plait j'arrive

Ces deux minutes décontenancent Edouard qui, dans sa tête, avait préparé son entrée.

Il se sent submergé par la timidité qui l'envahit, va t' il pouvoir être à la hauteur , lui qui traite des chantiers de toutes sortes, va t 'il se sortir de son embarras face à Léonie ? et alors qu'il se pose une multitude de questions le pas léger de Léonie le fait tréssaillir.

            * Bonjour Monsieur que puis je pour vous ?

 lui lance t 'elle d'un ton guilleret, il se racle la gorge espérant que les mots sortent , il ne l'avait jamais vu de si prés, elle est encore plus jolie qu 'il ne le pensait, sa peau est si claire avec juste quelques taches de rousseur sur les ailes de son nez, ses yeux verts sont d'une limpidité incroyable et sa bouche, ses lèvres si fines qu'on croirait des pétales de roses, le tout auréolé  d' une belle chevelure rousse................

            *Monsieur ?

            *Oui pardonnez moi j'étais ailleurs, il me faudrait s'il vous plait de la bonne toile pour faire des vêtements de travail solides à mes employés, le travail est rude et leurs vêtements pas appropriés à leur labeur.

            *Je crois avoir ce qu'il vous faut dit elle en se dirigeant vers des étagères en fond de magasin, suivez moi si vous voulez, voila j'ai de la belle toile DENIM quoiqu'un peu raide ou alors ce coton bleu que la plupart des pêcheurs utilisent pour partir en mer et..

        *Léonie s'il te plait pourrais tu m'aider pour mon devoir de géométrie je n 'y.....Oh pardon , je pensais que ma soeur était seule  s'excusa Louise  apparemment fort agacée par ce devoir compliqué.

        *Je viens dans moment Louise, je termine avec Monsieur

        *Excusez là monsieur la fougue de la jeunesse est parfois incontrôlable

        

        *Mais il n'y a pas de mal

        *Combien vous faut il de ce tissu? 

        *Eh bien j'ai 3 bons gaillards mais je n'ai pas jugé utile de calculer le nombre de tissu qu'il faudrait répondit Edouard en souriant.

        *Avez vous une couturière?

Devant l'air ahuri d'Edouard elle s'esclaffa de rire à son tour.

        * Eh bien si vous le désirez je pourrais vous envoyer une de mes bonnes clientes qui serait ravie d'avoir un peu de travail et qui pourrait passer prendre les mesures?

        *Avec plaisir oui, je vous laisse l'adresse de mon atelier, il n'est pas trés loin et si vous en avez envie, vous pourriez, votre soeur et vous, l'accompagner.

Ainsi fut dit elles viendraient donc le surlendemain.  

 Edouard  est un homme fort occupé sa petite entreprise est a plein rendement, son travail est reconnu et ses clients affluent, le temps passe toujours trop vite ses journées ne sont jamais assez longues mais ces deux jours lui ont paru interminables.

Cet aprés midi Léonie vient lui rendre visite, il s'est rasé de prés, a égalisé sa barbe, il a commandé quelques menues pâtisseries, de l'orangeade, de la liqueur ........tout doit être parfait.

Les voilà, elles arrivent ils les apercoit de loin, mais il ne les voit pas il ne doit pas montrer son empressement, il échange avec ses trois employés qui se gaussent vertement de son étrange attitude.......  

                *Bonjour Monsieur Edouard

Il se retourne, semblant surpris

                * Bonjour Mesdames, avez vous  trouvé facilement?

                * Oui bien sur répond Léonie , de plus cela nous a permis de faire une jolie promenade nous ne venons que trés rarement dans ce coin fort joli cela dit, je vous présente Madeleine qui serait ravie de coudre pour vous.

                **Si vous le permettez, dit Madeleine je vais m'occuper des mesures pour la confection de vos vêtements de travail car mon temps est compté, j'ai d'autres rendez vous.

                * Mais sans problème madame, faites comme bon vous semble, quand à vous mesdemoiselles accepteriez vous une petite pâtisserie, une boisson leur dit il en les emmenant sous la tonnelle où la table était dressée.

Cet endroit est magique, non seulement il est accueillant avec un joli salon de jardin en rotin mais il est fermé par une magnifique baie vitrée donnant sur un extérieur très bien entretenu, les arbres sont parés de feuilles pourpres ou cramoisies aux superbes nuances d'automne et certaines branches de bougainvillier sont encore chargées de jolies grappes de fleurs.

                 *Quel bel endroit ne peut s'empêcher de dire Léonie, à la fois accueillant et féminin, votre épouse peut être ? demande Léonie en s'adressant à Edouard.

                * Non je suis célibataire, juste l'héritage de ma chère mère qui adorait son jardin et que je m'évertue à entretenir mais le temps et la touche féminine commence à disparaitre.........

Sur ces quelques mots, Madeleine arrive de l'atelier et après quelques mises au point sur le travail demandé et sur le tissu a acheter  elle prend congé de ses hôtes et s'en repart, seule, d'un pas alerte.

Aprés avoir dégusté leur pâtisserie et bu leur orangeade, le trio fait quelques pas dans ce joli jardin, Edouard s'adresse à Louise :

                  * Alors Mademoiselle Louise ce devoir de géométrie      

                    * Oh je n y ai pas compris grand chose,  je crois que ma note ne sera pas bonne.

                *Il est vrai que je ne lui suis pas d'une grande aide je ne suis moi même pas trés douée pour cette matière encherit Léonie.                                              

                     * Vous savez que je me sers moi même de géométrie pour mon travail alors si je puis vous être d'un quelconque secours n'hésitez pas, je ne vous ferais pas votre devoir mais je pourrais vous expliquer comment le résoudre

                        *Oh c'est trop gentil, dis oui Léonie s'il te plait 

                    *He bien soit si ça ne vous dérange pas ce sera avec plaisir, mais pour l'heure nous allons prendre congés.

Edouard les raccompagne jusque sur la route et les regarde partir.

Lorsqu'il retourne dans l'atelier ses trois compères ne peuvent s'empêcher de le chahuter.......

        *Dis voir, c'est pour notre confort ou le tien que ces dames sont venues jusqu'ici ne peut s'empêcher de dire ELOUAN son plus fidèle compagnon............. 

 

 

 

Les petits conseils en géométrie pour Louise furent fort utiles, il n' y eut pas qu'une rencontre pour ces conseils mais plusieurs car parfois Léonie était débordée et Edouard put palier à plusieurs reprises à ces impossibilités et de plus la compagnie de Louise était rejouissante pour  Edouard qui avait trouvé en elle une adorable petite soeur.

 Les vêtements de travail furent vite terminés et les trois employés d'Edouard en apprecièrent le confort.

Léonie vint souvent chez Edouard et put mettre de petites touches féminines à ce magnifique jardin.

Voilà un an bientôt qu'ils se cotoient, Edouard n'a jamais osé montrer son penchant à Léonie, elle est si jeune, jamais à un seul instant elle n'a parue être troublée en la présence d'Edouard et même s'ils sont plus proches il reste l'ami, le protecteur de ce deux jeunes femmes.

Il prend, certes, une place trés importante dans leur vie, mais pas celle à laquelle il aspirait, et de son côté, le fait de passer du temps en leur compagnie reste, aujourd'hui, une nécessité.

A quoi servirait d'avouer sa flamme à Léonie qui risquerait de détruire cette amité..............

L'amitié profonde n'est elle pas une forme d'amour et peut être encore plus puissante que l'amour charnel?